Le Goût du Monde – 2 – Safa ou la saison des pluies

 
Soudan
Superficie totale: 1 886 068 km²
Population totale: 43 120 843 hab.
Langues officielles: Anglais et Arabe
Indépendance du Royaume-Uni et de l’Égypte le 1er janvier 1956
 
Safa ou la saison des pluies de Ahmad Al Malik
Langue: Arabe
Traduction: Français

J’ai choisi un livre d’un auteur d’expression arabe alors que l’Anglais est également une langue officielle du pays et qu’il existe des auteurs soudanais d’expression anglaise (Al-Sirr Hassan Fadl, Francis M. Deng, Taban lo Liyong…) car il m’a énormément inspiré. Un autre livre qui aurait été excellent pour le projet est Saison de la migration vers le nord (écrit en Arabe) de Tayeb Salih, nommé  « roman arabe le plus important du XXe siècle » en 2001 par L’académie arabe de Damas (c’est d’ailleurs le livre que Ann Morgan a choisi). Mais Ahmad Al Malik piqua ma curiosité grâce au site de Writers Unlimited qui rend compte de sa démarche « d’expliquer à ses lecteurs que la tolérance et la capacité à vivre avec d’autres cultures sont les vraies bases de l’Islam »*, aussi, il incorpore du folklore et du mythe dans ses romans, ce que je trouve très alléchant et il a dû quitter son pays comme de nombreux autres auteurs soudanais. Enfin, l’article de Xavier Luffin dans la revue Études littéraires africaines m’a convaincue avec une unique phrase: « Dans un style plein d’humour et très onirique, l’auteur se lance dans une critique de la dictature et de la corruption, utilisant encore une fois comme décor la diversité géographique et culturelle du Soudan. ». Je pense que cet auteur est le candidat parfait!
* traduction par moi-même

Petit contexte: depuis presque deux siècles, le Soudan est marqué par une vie politique très difficile, multipliant coups d’État et guerres civiles, la dernière ayant débouché sur la séparation du Soudan (musulman) et du Soudan du Sud (chrétien, traditionnel, animiste) en 2011. A cause de ce contexte, « les organisations humanitaires internationales appellent une « génération perdue », mal éduquée, sans accès aux soins de base et sans grandes chances de trouver un emploi productif » (Wikipédia). Ce contexte signifie aussi que l’écriture et la publication de fiction est assez rare dans le pays.

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Résumé: « M. le Maréchal », l’homme qui dirige le pays d’une main de fer, rentre dans son village natal après plusieurs années d’absence. Il se remémore petit à petit son passé et l’on apprend ainsi les événements qui ont marqué sa vie : son coup d’État, sa gestion catastrophique du pays, ses innombrables et aberrants remaniements ministériels, ses prises de décision aussi arbitraires que violentes.
Au fil des pages, on découvre un autre événement capital : la disparition de Safa, la jeune diplômée qu’il avait tenté de séduire maladroitement. Par sa beauté et son intelligence, la jeune fille était pourtant la seule personne capable de le sauver. Elle semblait en outre attirer la pluie, un inestimable don de Dieu dans ce pays ravagé par la sécheresse.
Il s’agit là d’une critique acerbe des régimes dictatoriaux successifs et de la guerre civile qui ont dominé l’histoire du Soudan depuis son indépendance. Si les noms des personnages sont fictifs, aussi bien les lieux que certains événements évoqués sont réels et clairement identifiables. Alternant descriptions poétiques et ironie mordante, l’auteur utilise savamment le riche patrimoine culturel de son pays, situé au carrefour du monde arabe et de l’Afrique, pour conduire son lecteur par la main du nord au sud et d’est en ouest.
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Aaaah! Nous voilà à l’avis, à la désillusion! Non j’exagère, ce n’est pas un si mauvais candidat pour le projet puisqu’il rend très bien compte de la diversité culturelle du pays, parle beaucoup du quotidien des gens (ces passages sont très instructifs et intéressants!) et met en lumière plusieurs côté positifs du Soudan même si son sujet est la dictature. Mon problème est qu’il est interminable! Le temps passe au ralentit (et pas de manière positive!): on jongle entre le présent  (le Maréchal qui rentre dans son village natal en essayant de retrouver la mémoire), le passé (des flashbacks sur la situation politique désastreuse, l’abus de pouvoir, la malhonnêteté, l’égoïsme, l’aveuglement et l’illusion des Ministres et du Président, les nombreuses tentatives de coup d’État, l’histoire avec Safa…) et des présentations très détaillées de la vie de certains personnages. Et cela n’arrange rien que Ahmad Al-Malik répète sans cesse ses phrases, sans rien y changer. Cela donne l’impression que l’on tourne en rond ou que l’on a lu la mauvaise ligne alors que non, les phrases sont simplement identiques. Cet aspect de l’écriture de Al-Malik est ce que j’ai associé à « l’humour » dont parle Xavier Luffin dans son article puisqu’à part cette fantaisie, le livre n’est absolument pas drôle et je n’ai pas l’impression qu’il cherche vraiment à l’être. Ce serait donc plutôt un humour de style, un peu comme Jonas Jonasson (auteur de L’analphabète qui savait compter ou du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire) mais en beaucoup moins prononcé et moins cocasse. En tout cas je n’aurais jamais qualifié le style d’humoristique.
Ensuite, durant ma lecture j’ai constamment senti qu’il me manquait quelque chose pour bien comprendre le livre. D’abord je suis persuadée que le passage de l’Arabe au Français n’a pas été un succès. Cela se ressent à la lecture: on a l’impression que les phrases sont étranges, et je sais (car j’ai commencé à apprendre l’arabe) que c’est simplement la manière arabe de dire. En tout cas c’est mon sentiment, que la grande différence culturelle de chaque groupe linguistique créé un fossé d’intelligibilité (sans parler de la difficulté qu’un lecteur non habitué à des noms arabes peut avoir à différencier les différents personnages qui ont un long nom). Je pense qu’un exemple de cela est la légère modification du nom des personnes: on nous parle d’une personne et puis plus tard les personnages en parlent en changeant la fin de son nom. C’est certainement que la fin des noms traduit la relation entre les personne ou quelque chose comme cela, comme en japonais, mais le traducteur n’a pas fait une seule note pour l’expliquer donc nous restons confus (ou en tout cas on se rend compte que l’on rate quelque chose dans le livre car nous n’avons pas toutes les clés de compréhension). En outre, j’ai été confuse presque tout le long du livre car j’avais l’impression que chaque élément était une métaphore que je ne comprenais pas. J’en suis en fait convaincue car autrement le livre n’a aucun sens. Je ne suis pas très forte pour comprendre les métaphores donc ceci ne sera sans doute pas le cas de tout le monde! Par exemple, lorsque le Président frappe quelqu’un (car il est très violent et frappe tout ce qui bouge), il arrive souvent que les personnes autour s’enfuient, ne laissant derrière elles que leurs chaussures, montres et bijoux. Cela sonne très cartoon mais le livre n’a jamais, en dehors de ces situations, de penchant cartoonesque… Et parlons brièvement de Safa. Elle aussi est certainement un métaphore mais de quoi? De l’espoir du peuple? Je n’en sais vraiment rien. Elle ne parle jamais et ne contribue pas vraiment au roman (encore une fois si je comprenais les métaphores de ce livre mon avis serait peut-être différent).
Pour ce qui est de la critique de la dictature, je trouve qu’elle n’est pas très claire. Certes sont décrits très en détails les agissements immoraux des politiques (revente pour leur propre bénéfice de colis envoyés par les aides humanitaires, impression de billets de banque sans soucis des conséquences sur la monnaie nationale etc.) mais le dictateur (le Maréchal) est présenté comme un pauvre bougre qui se fait manipuler et qui est en quelque sorte presque inconscient lorsqu’il agit mal, comme s’il n’était plus aux commandes pour les prises de décisions. Il est triste de voir son pays mourir, ses Ministres lui mentent en lui disant que tout va bien: comme s’il ne pouvait rien faire à la situation désastreuse car il n’en connaît pas les détails. en fait j’ai l’impression que le livre défend le dictateur lui-même pour jeter la faute sur son entourage. Est-ce cela le message? Peut-être pas mais je suis si confuse que c’est ce qui ressort du livre pour moi.
 
En conclusion: Le fossé d’intelligibilité est trop grand pour que la critique de la dictature soit efficace. Je ne pense pas que ce soit le meilleur choix possible pour représenter le Soudan, même si j’ai beaucoup appris de la culture et de la vie quotidienne (ce côté-là est terriblement intéressant mais un livre où il représenterait pas que 20% de l’histoire est peut-être préférable).

🇸🇩 Si vous avez des propositions de livres qui représenterait le Soudan, n’hésitez-pas à m’en faire part!
🇸🇩 Avez-vous déjà lu un d’un auteur Soudanais?
🇸🇩 Avez-vous déjà entamé un projet comme le Goût du Monde?

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